Suivi de la durée du travail des salariés : que faire en l’absence de décompte objectif et fiable ?

Sommaire

Les entreprises ont l’obligation de suivre et de contrôler le temps de travail quotidien de leurs employés.

Cette obligation découle de la directive n° 89/391, qui établit le principe de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ainsi que de la directive n° 2003/88 sur l’organisation du temps de travail et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Pour garantir l’application effective de ces droits, la Cour de justice de l’Union européenne a stipulé que « les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ».

Cependant, la Cour laisse aux États le soin de déterminer les modalités concrètes de mise en œuvre de ce système de comptabilisation.

Néanmoins, la législation française n’impose pas aux employeurs de comptabiliser individuellement la durée du travail pour chaque salarié lorsque ceux-ci suivent un horaire collectif. Elle ne l’exige qu’en cas d’horaires individualisés ou différenciés au sein d’un même service, atelier ou équipe.

En pratique, même si la loi n’oblige pas à un décompte individuel pour les salariés sous un horaire collectif, il est fortement recommandé de le faire. En cas de litige sur les horaires de travail, l’employeur doit pouvoir justifier les horaires de chaque salarié.

Le suivi précis des heures de travail permet de :

  • Vérifier le respect des durées maximales de travail ;
  • Déterminer si des heures supplémentaires ont été effectuées, et si des majorations de salaire ou des repos compensateurs sont dus ;
  • Apporter des preuves en cas de contestation devant les juges du nombre d’heures réellement travaillées ;
  • Sanctionner un salarié ne respectant pas les horaires et le temps de travail exigés ;
  • Répondre aux demandes de l’inspection du travail lors des contrôles sur la durée du travail.

En l’absence de ce suivi, le salarié pourrait réclamer un rappel de salaire, par exemple.

Modalités de décompte de la durée du travail

La loi n’impose pas de conditions de forme spécifiques pour les documents de décompte de la durée du travail. L’employeur peut donc choisir librement la méthode qu’il souhaite utiliser (systèmes d’enregistrement automatique, systèmes d’enregistrement manuel, systèmes autodéclaratifs), à condition que, si un système d’enregistrement automatique est utilisé, celui-ci soit fiable et infalsifiable (C. trav., art. L. 3171-4). 

Quel que soit le système choisi, l’employeur est responsable de sa mise en place et de sa conformité au RGPD, notamment pour les dispositifs de badgeage, de géolocalisation, et biométriques. 

Les modalités de décompte choisies par l’employeur s’imposent aux salariés et constituent donc une faute disciplinaire :

  • Le refus de « pointer » (Cass. soc., 17 nov. 1998, n° 96-44.198)
  • La falsification d’une feuille de pointage (Cass. soc., 21 oct. 1998, n° 96-43.277)
  • Le pointage pour un autre salarié (Cass. soc., 23 févr. 2000, n° 97-45.356 ; Cass. soc., 10 janv. 2001, n° 98-45.102).

Les salariés sont informés sur leur durée de travail par l’affichage en cas d’horaires collectifs et par les relevés d’heures établis mensuellement, en cas d’horaire individuel.

Preuve des heures de travail réalisées

Le Code du travail prévoit une répartition de la charge de la preuve en cas de litige sur l’existence ou le nombre d’heures de travail.

L’article L. 3171-4 du Code du travail dispose que :

  • Le salarié doit fournir des « éléments » à l’appui de sa demande.
  • L’employeur doit fournir au juge les éléments prouvant les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Depuis un arrêt du 24 novembre 2010, la Cour de cassation a précisé que le salarié doit fournir des éléments factuels suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre. Par exemple, un décompte des heures réalisées par le salarié, mois par mois, doit être suffisamment détaillé pour que l’employeur puisse y répondre (Cass. soc., 24 nov. 2010, n° 09-40.928).

Néanmoins, les juges ne peuvent faire reposer la charge de la preuve uniquement sur le salarié.  

La charge de la preuve étant ainsi partagée, ils ne peuvent débouter le salarié sur la seule insuffisance des éléments fournis par ce dernier (Cass. soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919 ; Cass. soc., 14 déc. 2022, n° 21-17.079), ni écarter les éléments sur la base de simples incohérences apparentes (Cass. soc., 25 janv. 2023, n° 21-14.866).

Ce dispositif de preuve s’applique à toutes les heures de travail (normales, supplémentaires, complémentaires), sauf pour la durée maximale de travail (Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-45.932).

Absence d'un système de décompte objectif et fiable

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a confirmé que l’absence de mise en place par l’employeur d’un système objectif, fiable et accessible ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies.

Dans sa décision, la Cour rappelle néanmoins la jurisprudence de la Cour de Justice de l’union européenne du 14 mai 2019 qui prévoit que les Etats membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place ce système. 

En l’espèce, les juges du fond ont considéré, s’appuyant notamment sur le cahier quotidien de décompte des heures et les attestations fournis par l’employeur, que la salariée n’avait pas effectué les heures non rémunérées qu’elle prétendait avoir accomplies.

La question était donc de connaître les conséquences du non-respect de cette obligation par l’employeur.

La réponse est claire : ce non-respect ne le prive pas du droit de soumettre les éléments de preuve dont il dispose. (Cass. soc., 7 févr. 2024, n° 22-15.842).

Ce qu'il faut retenir !
  • L’employeur qui n’a pas mis en place un système de décompte du temps de travail objectif, fiable et accessible conserve tout de même la faculté, pour prouver l’existence et le nombre d’heures de travail réellement accomplies, de soumettre au juge des éléments de preuve

Sources : 

  • CJUE, 14 mai 2019, aff. C-55/18, CCOO
  • Cass. soc., 5 juill. 2023, n° 21-24.122, n° 802 FS – B
  • Cass. soc., 7 févr. 2024, n° 22-15.842, n° 161 FS – B

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